L’appel de la route dans la littérature nord-américaine dans
le roman Sur la route de Jack Kerouac
et La foi du braconnier de Marc
Séguin
L’introduction
L’appel
de la route, ou des grands espaces dans la littérature Nord-Américaine remonte
au temps des textes coloniaux. À ce moment, ce style littéraire, prônant le
voyage et l’expansion territoriale, fut rapidement entravé par les évêques et
les intendants, principaux diffuseurs de la culture. Même que ce type d’œuvre
était considéré comme de l’antilittérature par son manque de rapprochement avec
la thématique du terroir : « Le voyageur apparait comme un déviant, un marginal
d’autant plus à craindre qu’il jouisse de l’admiration populaire. »[1] Dans L’appel des grands espaces, Maurice
Lemire spécifie que ce genre de littérature était proscrit étant donné qu’il
encourageait les gens à quitter leur famille et leur terre ancestrale pour
répondre à un vil besoin de voyage. Comme dans l’extrait du jésuite Firmin
Vignon que Lemire présente dans son étude : « Le voyons-nous
abandonner la maison paternelle, aller bien loin dans les chantiers […] puis
revenir au sein de sa famille pour l’épouvanter par le scandale de ses
blasphèmes et de son libertinage. »[2]
Avec le temps, la vision sociale de « l’appel de la route » a évolué,
mais « le voyageur ne prend sa place véritable dans la littérature qu’au
XXe siècle. »[3]
À ce moment, la thématique de l’appel de la route est clairement énoncée et se veut un leitmotiv dans la quête
des personnages.
Jack Kerouac (Jean Louis de Kerouac) ( 1922-1969) |
Donc, je vais concentrer mon analyse
sur deux auteurs d’origine canadienne-française, Jack Kerouac et Marc Séguin,
et sur leurs œuvres Sur la route et La
Foi du Braconnier. Sur la route est publié dans les années 1950 et est
roman d’autofiction en quatre parties dans lesquelles un voyageur du nom de
Jack Kerouac traverse le continent d’est en ouest pour rejoindre ses amis.
Celui-ci est l’un des premiers romans du XXe siècle à afficher l’appel de la
route de façon claire et précise dans le schéma narratif; les autres romans, le
roman L’attrape-cœur par exemple, le
fait d’une façon détournée en ne démontrant pas une attention particulière à
l’appel de la route. La foi du
Braconnier, premier roman de l’auteur québécois Marc Séguin, est un roman
appartenant au XXIe siècle où il y alternance en une narratologie
homodiégétique et une narratologie hétérodiégétique. Plus récent, il trace un
portrait moderne de ce qu’est l’appel de la route dans la littérature
nord-américaine. Le personnage principal, Marc S. Morris, est tour à tour
chasseur, chef cuisinier et homme d’Église pendant qu’il parcourt l’Amérique du
Nord en traçant un énorme « Fuck-You » en points cardinaux.
Marc Séguin (1970- ) |
Dans cette analyse, j’établirai
d’abord la thématique principale qui les pousse à répondre à l’appel de route. Ensuite,
j’analyserai ce qui constitue les deux voyageurs dans chacun des romans. De ce
portrait, je pourrai ressortir les principales ressemblances et différences
entre eux deux malgré leur parité sociogéographique. En terminant, j’établirai
la présence de l’américanité dans cet appel de la route.
La raison du voyage
Dans les romans Sur la route et La
foi du braconnier, le voyage
est porteur d’une thématique maitresse. Cette thématique se trouve à être un
manque chez les personnages. Manque qu’ils tentent de combler par l’appel de la
route. Comme le dit le philosophe Robert Canovaro au sujet de la quête de Jack
Kerouac : « La quête initiale s’inscrit bien dans la tradition
romantique de l’appel d’une vie neuve. »[4]
Chez Jack Kerouac, le manque qu’il tente
de combler sur la route est sa famille. Le lecteur apprend, par une litote, au
début du roman que Jack Kerouac
sort d’une dépression causée par la mort de son père. Il ne s’en sors qu’avec
l’arrivée de Neal Cassady; un bohème arrivé à New York pour que Jack Kerouac
lui apprenne à écrire des romans : « J’ai rencontré Neal pas très
longtemps après la mort de mon père… Je venais de me remettre d’une grave
maladie que je ne raconterai pas en détail, sauf à dire qu’elle était liée à la
mort de mon père, justement, et à ce sentiment affreux que tout était mort. »
[5]
Comme cette phrase est la
première du roman cela indique au lecteur que l’appel de la route ne se trouve
pas très loin du vide laissé par la mort du père. Appel de la route que figure
Neal Cassady. Une allégorie qui est aussi reprise un peu plus loin dans
l’incipit du roman: « avec l’arrivée de Neal a commencé cette parti de ma
vie qu’on pourrait appeler ma vie sur la route. »
(SR : p.127.) Neal en emportant l’idée du voyage à JacK Kerouac fait
figure de destinateur d’une solution aux questions que se pose Jack Kerouac. Tellement
qu’il représente pour Kerouac l’allégorie même du voyage. Il l’indique en
présentant la route avec Neal comme une nouvelle vie, un nouveau départ. Une vie exutoire de la dépression causée par la
mort du père et qui lui permets de découvrir ce qu’il veut soutirer d’une vie
de famille. L’essayiste Gilles Bibeau trace cet aspect de la recherche de
comblement familial dans l’œuvre Sur la
route :
Peu de romanciers
américains ont élaboré, mieux que Jack Kerouac, la mise en scène imaginaire
de leur origine et de leur histoire familiale et ethnique, et de leur
américanité. Jack Kerouac se présente comme faisant partie d’un colossal voyage
de migration vers le sud […]avec son père qui représente, au sein de cette
lignée, la sédentarité provisoire de l’immigrant arrivé à une étape du voyage
que son fils Jack se dois de continuer. [6]
En répondant à l’appel de
la route, Jack Kerouac recherche à passer au travers du deuil de son père, mais
aussi à accepter la responsabilité psychologique de le remplacer.
Le but du premier du
voyage, rejoindre Allen Ginsberg et Neal Cassady, apparaît alors comme une
raison secondaire à un but plus grand pour le protagoniste : trouver ce
que c’est former une famille. Sur la route, il rencontre une jeune Mexicaine du
nom de Bea et son fils Richard qui lui apportent, au départ, quelques réponses
à cette recherche d’une idéologie familiale. Tous trois se retrouvent dans une
tente à côté d’un champ de coton où Kerouac travaille à longueur de journée
pour subvenir aux besoins de la famille:
Chaque jour je gagnais à peu près un dollar et demi.
Ça suffisait tout juste pour aller acheter des provisions du soir, à vélo. Les
jours passaient. J’avais complètement oublié l’Est, et Neal et Allen, et la
putain de route. Raymond et moi, on jouait tout le temps. Il adorait que je le
fasse sauter en l’air et rebondir sur le lit. Bea reprisait nos affaires.
J’étais l’homme de la terre. (SR :
p.239-240.)
Jack Kerouac se complait
dans cette vie de famille et en vient à ne plus vouloir reprendre la route. Par
contre, rapidement, la difficulté à subvenir aux besoins de cette nouvelle
famille lui devient de plus en plus difficile à combler à l’approche de l’hiver
et le désillusionne face à son rôle paternel. Jack Kerouac finit par avouer à
Béa qu’il ne peut plus subvenir aux besoins de sa famille:
La mort dans l’âme, on a décidé de partir. ”
Retourne dans ta famille”, j’ai dit en grinçant des dents. “Pour l’amour du
ciel, tu peux pas continuer à traîner dans les tentes avec un gosse aussi petit
que Raymond, il a froid, le pauvre petitot.” Bea s’est mise à pleurer, croyant
que je mettais en doute son instinct maternel. Ce n’était pas mon intention.
(SR : p.241.)
Jack Kerouac admet difficilement
qu’il ne peut représenter le rôle paternel dans sa nouvelle famille. C’est une
première grande défaite pour le personnage envers sa quête familiale. Il y a
d’ailleurs une incise dans le texte qui nous spécifie que le personnage le fait
en grinçant des dents et la mort dans l’âme. La métaphore, la mort dans l’âme,
représente toute la déception qu’a Jack Kerouac de son échec.
Le deuxième échec
psychologique se fait peu de temps
après l’arrivée dans la famille de Béa, au moment où il réalise qu’il ne peut
être une famille avec Béa. Il lui dit alors qu’il doit partir, car son rôle est
inutile et qu’ils doivent se résoudre à se quitter :
J’ai dit à Béa que je partais. Elle y avait pensé
toute la nuit, elle était résignée. Elle m’a embrassé sans émotion dans les
vignes, et elle s’est éloignée le long de la rangée. À douze pas, on s’est
retournés, car l’amour est un duel, et on s’est regardés pour la dernière fois.
“Je te retrouve à New York, Bea” j’ai dit. Elle était censée y venir en voiture
avec son frère, dans un mois. On savait bien l’un comme l’autre que ça ne se
ferait pas. (…) Misère de moi, voilà que j’étais de nouveau sur la route.
(SR : p.245.)
C’est à contrecœur qu’il
répond encore une fois à l’appel de la route pour tenter d’aller combler ses
besoins familiaux. Et il ne réussit pas complètement, car à la fin du roman,
même s’il est marié avec une femme du nom de Joan depuis peu, il regarde Neal
Cassady partir pour un ultime voyage, un appel de la route auquel cette fois il
ne répond pas à cause de sa femme. En regardant partir Neal Cassady il se dit
ceci: « Moi je pense à Neal Cassady, je pense au même vieux Neal Cassady,
le père que nous avons jamais trouvé, je pense à Neal Cassady, je pense à Neal
Cassady. »
Cette suite d’anaphores,
du nom de Neal Cassady, agit comme une longue plainte du personnage sur son
sort et sa quête jamais achevée. Alors, même marié et ne voulant pas répondre à
l’appel de la route Jack Kerouac ne trouve pas ce qu’il cherche sur la route.
Cette plainte laisse supposer que la relation avec Joan n’est pas la réponse à
sa quête familiale, car la relation n’est que nommée à ce moment dans le roman
et n’agit que comme prétexte pour qu’il n’y est pas une nouvelle réponse à
l’appel de la route.
Dans le roman La foi du braconnier de Marc Séguin, le but
que suit le protagoniste Marc S, Morris en répondant à l’appel de la route est
la relation homme/femme. Il commence son voyage quelques minutes après avoir
rompu avec une femme avec qui il sortait au cégep. Il décrit cette femme comme une femme de 18 ans qui veut
fonder une famille et avoir des enfants. C‘est au moment où elle lui dit qu’elle ne le ferait pas
avec lui dû à sa grande immaturité qu’il décide de rompre. Il décrit sa façon
de rompre comme un réflexe et le démontre avec une énumération de ses gestes:
Comme je ne savais pas quoi dire ni quoi
répondre à ces affirmations, justes, je le sais maintenant, mes mains, ne
sachant que faire elles non plus, ont sorti l’atlas et un stylo bleu de mon
sac. Pendant qu’elle me regardait en silence, accusatrice, la bouche pincée,
j’ai tranquillement tracé un gigantesque
FUCK YOU qui partait de la Saskatchewan et dont le dernier U se
terminait quelque part dans le Saint-Laurent prés de Montmagny. [7]
En réagissant de cette
façon, Marc S. Morris se donne le motif de l’appel de la route et sa trace à
suivre. Il agit comme son propre guide dans ses questions personnelles,
s’indiquant le chemin à prendre avec cynisme et sans réfléchir. Cet appel de la
route lui est salutaire, car sur la route il rencontre plusieurs femmes qui lui
donnent la chance de retenter une relation amoureuse. La première s’appelle
Nelly et il la rencontre dans un petit motel à Brandon sans l’avoir cherchée. Monoparentale
francophone, elle recherche la même chose que Morris dans les relations
humaines. Par contre, dès le début, Morris sait que cela ne fonctionnerait pas:
« On avait fait l’amour le premier soir et elle avait gardé les yeux
ouverts. Perdu d’avance. C’est seulement maintenant que je le sais. L’ordre des
choses est mal foutu, même si ça finit toujours par avoir un sens. » (FB :
p.25.)
C’est la trop grande
proximité entre Nelly et Marc S. Morris qui trouble Morris. Il ne peut
s’attacher à une femme qui recherche les mêmes choses que lui, car il veut être
unique dans son désir d’une relation. Unique pour combler ses besoins de façon
solitaire et ne pas dépendre de quelqu’un; il ne se sent donc pas prêt à former
un couple à ce moment-là.
Invariablement, si l’appel de la route est plus fort que le désir de
rester en relation, il repart pour tenter de combler son besoin ailleurs. Il
quitte donc Nelly, quelque temps après l’avoir rencontrée, sans lui
dire qu’il repart : « Nous avions passé une nuit, une journée et
une partie d’une autre nuit ensemble. Après une trentaine d’heures, je crois
être passé à un cheveu de la marier. Elle ne le saura jamais, parce que j’ai
cavalièrement décampé quand j’ai senti qu’elle voyait un peu plus loin. »
(FB : p.26.)
Ce n’est qu’à la
rencontre d’une troisième femme, Emma, qu’il trouve véritablement ce qu’il
cherche dans son voyage. À l’instant qu’il la rencontre dans un restaurant, il
sait qu’il termine sa quête, car il extrapole sur son futur avec elle :
J’ai répété ma question en anglais en lui disant que
ça pourrait être facile de la demander en mariage. À son tour de faire une
pause en silence. Puis elle a répondu que dans sa vie, elle avait dit beaucoup
plus de fois non que oui. Je lui ai aussi demandé si elle avait lu Flaubert.
T’inquiète, si je t’aime un jour comme je m’en devine capable, je te ferai lire
tous les grands classiques. (FB : p.77)
Après cette rencontre,
l’objet de sa quête change. Il ne répond plus à l’appel de la route pour
trouver une réponse à ses relations, mais bien pour la retrouver, elle :
« Je n’ai pas retrouvé Emma. Quatre mille deux cent quarante-sept kilomètres
depuis North Canal. […] Pas de réponse au numéro de téléphone qu’elle avait
écrit sur le napperon gris, taché de beurre, entre le w et le o de welcome,
avec un crayon à maquillage pour les yeux. » (FB : p.80) Ce passage
démontre un changement chez le personnage : en plus du changement du sujet
de sa quête, ce n’est plus lui qui quitte, mais lui qui est quitté. Le désir de
la retrouver est si fort qu’il rebrousse chemin pour tenter de la revoir. Au
moment de la voir, il tente d’aboutir sa quête en la demandant en mariage. Il tente
ainsi de conclure sa recherche sur la route en formant une relation sérieuse :
« “Will you marry me; ?” Elle
s’est tournée vers moi. Elle a regardé son amie. Au moins six fois, en silence.
Puis elle a dit : “What’s your name again?” Mais elle se souvenait très
bien de mon nom, car elle avait laissé une douzaine de messages […] sur mon
répondeur. » (FB : p.82.)
Chien et oiseau. Fusain et huile sur toile, Marc Séguin. 2002 |
Cette demande aboutie,
comme l’espère le personnage, à la conclusion de l’appel de la route, car Emma
est aussi très éprise de lui, visible par les hyperboles employées par l’auteur
pour décrire les agissements de Emma; elle regarde six fois son amie et a
laissé une douzaine de message. Marc S. Morris ne sait pas pourquoi c’est elle
qui change sa quête, mais décide de faire confiance à son instinct.
La principale différence
entre le roman Sur la route et La foi du braconnier est la raison de
répondre à l’appel de la route. Dans le roman Sur la route, le personnage principal le fait pour trouver ce qu’il
recherche d’une famille alors que Marc S. Morris dans La foi du Braconnier recherche une relation stable avec les femmes.
Là où réside la ressemblance par contre, c’est que Jack Kerouac tente de passer
lui aussi par des relations amoureuses pour trouver ses réponses, mais sans
succès. Le fait d’être marié, comme dit plus haut, ne résout pas sa quête
initiale, et ce, même s’il ne répond pas à l’appel de la route dans cet état
d’homme marié. Alors que Marc S. Morris, lui, recherche une relation stable en
répondant à l’appel de la route. Alors pour lui le fait d’être marié est la
réponse aux besoins de sa quête initiale, donc il n’a plus besoin de répondre à
l’appel de la route. Information que soulignent les dernières ligne du roman,
alors que le personnage regagne sa chambre en réfléchissant à son avenir: « J’ai
voulu dormir, comme d’habitude. J’irai finir le U de mon FUCK YOU un autre matin. Je l’ai embrassé dans le
cou. » (FB : p.147.) L’appel de la route est donc bénéfique pour la
cause de départ de Marc S. Morris, mais ne l’est pas pour celle de Jack
Kerouac. Par contre, l’appel de la route apporte pour les personnages des deux
romans un changement psychologique important. Tellement pour le personnage de
Marc S. Morris qu’il redirige la quête de son voyage pour répondre à un nouveau
but; retrouver Emma. Jack Kerouac lui, tout en évoluant, ne change par contre
jamais son but initial qui est de trouver une image de père de famille et c’est
peut-être pour ça qu’il y a une impression de quête inachevée dans le roman Sur la route.
Le voyageur
Pour analyser les personnages des
romans Sur la route et La
foi du braconnier, je m’appuierai de l’analyse sémiologique des personnages
construite par l’analyste littéraire Philippe Hamon. La théorie sémiotique de
Philippe Hamon[8]
se concentre sur la constitution du personnage en trois points: L’être, Le faire et L’importance hiérarchique. Chacun des points possède une
sous-précision qui la définit de deux à sept points. Pour mon analyse, comme
ces œuvres sont deux récits autofictionnels, je n’aurai à me servir que de
quelques sous-points dans L’être et
du point des rôles thématiques dans Le faire. Je les utiliserai dans le but
d’établir de quelle façon les personnages répondent à l’appel de la route et
donc quel type de voyageur ils sont.
Dans la théorie de Philippe Hamon, l’être est constitué des sous
points : Nom, dénominations et
portrait. Le portrait est établi par quatre attraits du personnage : Le corps, l’habit, la psychologie et la biographie. Pour mon étude, je vais
me concentrer sur le point du Nom et
Le portait par deux sous points, l’habit et la psychologie.
Jack Kerouac dans le roman Sur la route porte le même nom que
l’auteur du roman. Cela transpose déjà, en plus du discours narratif
homodiégétique, que le roman Sur la route
en est un d’autofiction.
L’ensemble des catégorisations de Hamon révèle que le personnage de Kerouac est
marginal. Comme le spécifie Maurice Lemire cette association est mauvaise pour
le voyageur : « le voyageur apparaît donc comme un déviant, un
marginal d’autant plus à craindre qu’il jouit de l’admiration populaire. »[9]
Jack Kerouac, dans sa marginalité, use d’actions et de réflexions qui lui sont
néfastes pour trouver des adjuvants qui l’aideraient à répondre à son appel de
la route. Comme dans ce passage, où Kerouac, prit à Preston, voit défiler de
nombreuses voitures depuis le début de la journée sans que personne ne le prenne:
Comme à Davenport, dans
l’Iowa, il ne passait que des bétaillères; ou pire encore, une fois de temps en
temps, une voiture de tourisme, avec un vieux au volant, et sa femme qui lui
montrait le paysage ou qui lui lisait la carte; bien carrés dans leur siège,
ils étaient dans toute l’Amérique comme dans leur salon, à tout regarder de
leur œil soupçonneux. (SR : p.147.)
Sa marginalité l’empêche d’être aidé
par des gens de la société qui se veut traditionnelle; ceux qui sont sur la
route comme dans leur salon. Cette citation par la métaphore « il était
dans toute l’Amérique comme dans leur salon » révèle une différence d’opinions
entre Kerouac et d’autres membres de la société; les deux ne répondant pas pour
les mêmes raisons à l’appel de la route.
Il ne trouve de l’aide qu’en les chauffeurs de voiture qui se veulent
eux-mêmes marginaux pour la société. Comme dans ce passage où il rencontre deux
frères qui parcourent les Etats-Unis le plus rapidement possible, dans le but
de se faire de l’argent en transportant des machines agricoles :
L’étape la
plus mémorable de ma vie d’auto-stoppeur m’attendait : un camion-benne,
avec déjà cinq gars vautrés à l’arrière,
et les chauffeurs, deux jeunes fermiers blonds du Minnesota, qui ramassaient tous les gens qu’ils trouvaient
sur leur route. […] C’étaient deux frères; ils partaient chercher des machines
agricoles à Los Angeles pour les livrer dans le Minnesota, et ça payait bien.
Alors à l’aller, vu qu’ils étaient à vide, ils ramassaient tous les gars qu’ils
trouvaient au bord de la route. Ils en étaient à leur cinquième circuit; ils
s’amusaient comme des fous. (SR p.150-152)
Ensuite, quand on porte attention au
sous-point de L’habit dans Le portrait, de la théorie de Philippe
Hémon, il est possible d’en
apprendre davantage sur quel type de voyageur est Jack Kerouac. Je fais une
expansion de la théorie constitutive de l’habit à tout ce qui concerne les ressources
physiques et matérielles d’un personnage.
Le personnage du récit Sur La route est très mal outillé en ce qui
a trait à l’habit. C’est ce que nous indique ce passage, où Kerouac se retrouve
perdu sous la pluie sur une route déserte qu’il croit très passante au moment
de son départ :
Je me maudissais, je pleurais d’envie d’être à Chicago.
” Dire qu’en ce moment même, ils s’amusent tous, ils font des trucs, et
moi j’y suis pas, quand est-ce que j’y serai”, etc. Enfin, une voiture s’est arrêtée à la station-service
déserte, un homme et deux femmes, ils voulaient consulter leur carte. Je me
suis approché, en gesticulant sous la pluie; ils se sont concertés :
j’avais l’air d’un dingue, faut dire, avec mes cheveux mouillés, mes chaussures
détrempées… […] des passoires végétales pas faites pour les soirs de pluie, en
Amérique, pas faites pour la route en général, avec ses nuits brutales. Mais,
ils m’ont pris quand même, ils m’ont raccompagné jusqu‘à Newburgh.
(SR : p.136)
On ne sait qu’une chose de
l’accoutrement de Jack Kerouac : sa paire de chaussures des huaraches
mexicaines. Plus tard, on apprend qu’il a aussi quelques chemises, mais la
mention n’est faite qu’au moment où il les perd. La sémiologie de l’habit dans
le roman Sur la route ne fait que
montrer le voyageur comme très mal équipé pour répondre à l’appel de la route. Le fait qu’il ne
réalise qu’après avoir répondu à l’appel de la route que sa paire de sandales
mexicaines n’est pas faite pour le voyage illustre bien son incompréhension des
besoins qu’implique l’appel de la route. Tout ce que connaît le personnage
principal, c’est sa destination, Chicago, mais ne peut que désespérer de son
manque flagrant de compétences requises pour s’y rendre. Jack Kerouac est de
plus un voyageur qui dépend toujours des autres pour répondre à sa quête de la
route, ce qui souvent l’amène à réaliser qu’il n’est qu’un piètre
voyageur :
En plus, m’a dit le type, il passe personne, sur la
Six… si vous voulez allez à Chicago, il vaut mieux prendre le tunnel Holland, à
New-York, et passer par Pittsburgh. J’ai bien compris qu’il avait raison.
C’était mon rêve qui déconnait au départ, cette connerie du gars au coin du
feu, qui se raconte comme ce serait chouette de suivre une des grandes routes
marquées en rouge pour traverser l’Amérique au lieu d’emprunter divers chemins
et itinéraires. (SR: p.137.)
Haïku de Jack Kerouac illustré par Laurence Monaco |
Le fait qu’il soit un piètre
voyageur réside surtout dans le fait qu’il n’est pas convenablement préparé.
Cela l’empêche d’avancer comme il le souhaiterait et le fait désespérer. À
l’inverse, quand il se retrouve sur la route, il retrouve une certaine joie de
vivre et de l’espoir. Comme dans ce passage où il est heureux de se retrouver
sur la route, même s’il vient de quitter Béa, et donc de vivre un échec dans sa
quête : « Tout d’un coup,
j’ai réalisé qu’on était en automne et que je rentrais à New-York. Je me
suis senti inondé d’une grande joie. » (SR : 246). Alors, il devrait
être triste, il se sent empli d’une grande joie. La route agit ainsi comme
exutoire de son malheur. C’est aussi, selon la sémiotique de Philippe Jouve, la
thématique que porte le personnage de Jack Kerouac, thématique qui est la
suivante: la route est exutoire au malheur. Si le voyageur qu’incarne Jack
Kerouac, même s’il est fragile psychologiquement et mal outillé, répond à
l’appel de route, tout finira bien. Ce qui n’est pas nécessairement le cas pour
le personnage dans La foi du braconnier.
Marc S. Morris ne
porte, lui, que le prénom de l’auteur et est lui aussi pourvu d’une narration
homodiégétique. Narration homodiégétique qui donne à ce livre une
catégorisation d’autofiction comme celui de Jack Kerouac. Cependant, le prénom
ne donne pas plus d’informations sur le personnage et n’a pas de répercussion
diégétique. Par contre, l’habit est une catégorie très importante dans la
sémiotique du personnage Marc S. Morris. Le personnage est pourvu de sa propre
voiture, ce qui lui donne un avantage pour répondre à son appel de la route, et
un itinéraire précis; un Fuck-you sur
une carte du nord de l’Amérique : « Six vitesses, 420 chevaux-vapeur
et 300 kilomètres-heure plus tard, j’ai vingt-six ans et j’ai trouvé un autre
pick-up Dakota 1987 dans une cour à scrap du boulevard des Laurentides, à
Laval. » (FB : p.67.)
Cette distinction matérielle le rend
indépendant dans sa quête et le définit comme un voyageur très bien outillé et
sachant, au-delà de sa destination, un itinéraire précis. Sa préparation pour
répondre à l’appel de la route fait de Marc S. Morris un voyageur préparé à
plusieurs éventualités. Pourtant, il rencontre des problèmes qui altèrent sa
quête. Ces problèmes sont d’ordre psychologique et le remettent en question sur
son identité personnelle. Comme dans se passage où Marc S. Morris, par un
monologue intérieur constitué de phrase déclarative et de comparaisons, trace
son portait de lui-même face à l’Amérique : « Je suis une conséquence
de l’Amérique moderne. L’Amérique que la poudre à fusil a conquise et rendue
conquérante. Et même si je suis un produit intellectuel de la classe moyenne,
une moitié blanche, l’autre amérindienne. Dans mes veines coule encore une
motivation de prédateur. » (FB : p. 15-16.)
L’évolution de Morris n’étant pas
soumise à des problèmes matériels, elle lui permet d’élever plus loin sa
recherche sur un plan psychologique. Il peut ainsi prendre le temps de se
positionner face à sa vision de l’Amérique et de ses origines généalogiques.
Comme il le fait dans ce passage en se comparant à un prédateur ancestral.
Les différences sémiologiques des personnages
Plusieurs différences résident dans
la sémiologie des deux protagonistes. Premièrement le nom, Jack Kerouac appose
son nom complet comparativement à
Marc Séguin qui ne donne que son prénom à son personage. La distance
narrative n’est donc pas la même dans la La
foi du braconnier. La distance narrative entre les informations sur ce que
le personnage ressent et le fil narratif étant plus grande, Marc Séguin doit
user d’un passage entre une narration homodiégétique et hétérodiégétique pour
décrire les agissements de son personnage. Souvent ce changement se fait à la
fin des chapitres pour que le lecteur comprenne bien les déplacements du
personnage principal sur la route :
-Un pick-up Dakota bleu deux tons a
traversé quatre fois la frontière, sans destination apparente. La trajectoire
du véhicule, du parc du Mont-Riding jusqu’à Wnnipeg, quatre jours plus tard,
forme un ensemble de lignes visuellement reconnaissables et compréhensibles
dans un alphabet occidental. La première lettre est un F et la seconde un U.
1790 kilomètres. (FB : p.31.)
L’autre différence entre le
personnage de Marc Séguin et celui de Jack Kerouac est l’habit. C’est la plus
grande différence, car comme le personnage de Jack Kerouac est dépendant des
autres pour véhiculer, alors que celui de Marc Séguin possède son propre
véhicule. L’avancée dans leur quête respective ne se fait donc pas à la même
vitesse. Jack Kerouac est dépendant des autres, même s’il prend la décision de
répondre à l’appel de la route. L’appel de la route est donc pour lui porteur de
nombreux autres problèmes qui ne sont pas présents pour Marc S. Morris. C’est
aussi cette cause de problèmes supplémentaires qui fait une différence majeure
sur le plan psychologique des deux personnages. Quand Jack Kerouac se retrouve
à avancer sur la route, et a ainsi la possibilité de répondre véritablement à
l’appel de la route, il se délaisse d’une grande partie des problèmes qui
entourent cet appel. Marc S. Morris, lui, quand il répond à l’appel de la route
il ne se retrouve pas ralenti par des causes matérielles, mais bien par les
différentes pistes qu’il essaie. Par exemple quelques relations avec des femmes
ou le déni de sa recherche en devenant curé. Les opinions des deux
protagonistes face aux problèmes et aux concepts qu’ils rencontrent sont aussi
différentes, même s’ils ont la même origine sociogéographique.
L’américanité dans l’œuvre
Établir une œuvre comme faisant
partie d’un corpus américain en la dissociant des origines de son auteur
n’est pas une mince tâche dans la littérature postmoderne et sa
conceptualisation déconstruite de la littérature. Dans sa volonté de ne pas
présenter des repères, la littérature actuelle se défend d’appartenir à
une idéologie sociogéographique particulière. Malgré cela, par l’utilisation
d’une certaine forme d’écriture, de thématique et de distanciation narrative,
je crois qu’il est possible de voir transparaitre une appartenance à un certain
corpus. Pour moi, la conception de l’appel de la route dans les œuvres Sur la route et La foi du braconnier est en soi nord-américaine comme idéologie
littéraire.
James Dean acteur américain (1931-1955) |
Ces thématiques qui définissent un corpus
idéologique américain sont très présentes dans les romans La foi du braconnier et Sur
la route, ce qui laisse supposer qu’ils retranscrivent une écriture
américaine dans leur conception, au-delà des origines
canadiennes-françaises des deux auteurs.
Dans les concepts énoncés, il y en a
deux qui sont très présents dans le roman Sur
la route : le catholicisme et la jeunesse. Le premier, plus voyant,
est le catholicisme. Au moment de partir sur la route, Jack Kerouac fait
référence à Iamël, un personnage de l’Ancien Testament : « Et voilà
comment, un beau matin, j’ai posé mon demi-manuscrit sur mon bureau, replié mes
draps douillets pour la dernière fois, mis quelques effets indispensables dans
mon sac en toile […] voilà comment je suis parti pour le Pacifique comme un
vrai Ismaël, avec mes cinquante dollars en poche. » (SR : p.135.)
La figure de comparaison effectuée
avec le personnage de la genèse Ismaël constitue un lien intertextuel
catholique à un moment important du livre, le premier départ de Kerouac. Ce qui
rend cette comparaison significative dans la diégèse du roman. Ismaêl, comme Kerouac, doit quitter son
village avec sa mère pour fonder une généalogie, sous les recommandations
d’Éloïde (Dieu). Et comme Kerouac ils emportent peu de vivres, il n’est donc
pas très bien préparé au voyage dans le désert de Bersabée : « -Que
ne déplaise pas à tes yeux en ce qui concerne le garçon et ta servante […]
Quant au fils de la servante, je ferai de lui aussi une nation, puisqu’il est
lui aussi de ta race.” Abraham se leva de bon matin, prit du pain et une outre
d’eau qu’il donna à Hagar, puis il lui mit l’enfant sur l’épaule et la
congédia. »[13]
En usant de cet intertexte, Jack Kerouac utilise une figure
de comparaison avec une image catholique d’un «voyageur» pour figurer son
appel à la route, ramenant le texte biblique à sa cause très américaine qui est
de traverser les États-Unis d’est en ouest. En plus, les figures bibliques
étant très présentes dans les années 1940 aux États-Unis, cette figure rapporte
un aspect culturel américain de l’époque. Il est donc normal que Kerouac
compare le but et les outils de son voyage à ceux d’une figure biblique.
Le lien entre l’américanité et
l’aspect de la jeunesse n’est pas vraiment expliqué dans l’étude de Morency. Je
crois qu’il spécifie ce point en se référant au clivage important qui existe
entre deux générations américaines. Clivage marqué par une différence de
culture, d’intérêt et de conception de la réalité. Dans ce passage où Jack
Kerouac rencontre le professeur, et maître à penser, d’un de ses amis il est possible
de voir le clivage entre deux générations d’intellectuels: « Là-dessus, je
me suis levé pour serrer la main de Mr. Bierly. Il se demandait ce qu’Hal me
trouvait, à l’époque, et se le demandait encore, cet été-là, à Denver; il ne me
voyait pas percer un jour. C’était très exactement ce que je voulais qu’il
pense, comme le reste du monde […]. » (SR : p.184-185.)
Le professeur qui appartient à une
génération plus ancienne ne comprend pas les façons d’agir de Kerouac et ne
veut pas reconnaître qu’il a en lui un potentiel intellectuel. Jack Kerouac
refuse d’agir de façon à représenter la figure universitaire qu’il est. Il
préfère se saouler et passer sa vie sur les routes pour ne pas servir de modèle
et paraitre comme une figure institutionnelle, à l’instar des gens de sa classe
d’homme littéraire et de son niveau intellectuel. Jack Kerouac se refuse à la sédentarité de
l’université et préfère l’appel de la route dans son parcours intellectuel. L’Amérique
est une suite de générations qui ne se ressemblent pas.
Dans La foi du braconnier le refus de la société se porte plutôt dans le
discours du personnage principal. Il se mélange avec le point de l’ethnicité,
qui est dans ce cas-ci le rapport avec le peuple autochtone. L’opinion de Marc
S. Morris est visible dans ce passage où il décrit sa généalogie avec un
ensemble de métaphore et d’énumération :
Ma mère mohawk a légalement fait de moi un Indien
d’Amérique. Un fantôme du passé. Titre que je n’utilise qu’en de très rares
occasions parce que, comme ma mère a quitté la réserve pour épouser un Blanc,
légalement mon sang indien s’assèchera avec moi. Pas de privilège pour ma
descendance, à moins de retourner vivre dans la réserve. Jamais. La réalité
identitaire la plus juste serait celle du sang d’une société déclinante qui
implose doucement sans que personne n’en fasse cas. On a caché la décadence
dans les sous-sols des banlieues. Derrière deux télés, des divans, des entrées
de garage […] Tekatkennyer (défaite). (FB : p.33.)
Le personnage Marc S. Morris fait
dans cet extrait une critique des agissements de la société américaine face à
l’histoire amérindienne. Le rapport à l’américanité est très clair par la
présence d’une énumération d’éléments de culture américains et le point de vue
exprimé par le personnage face à ceux-ci. La réalité décrite en est une de
l’Amérique moderne dans son désir de matérialisme sans considération pour le
passé des peuples ancestraux; peuples qui métaphoriquement implosent. Le
personnage se confine dans ce refus de la société et sa perte de repères
identitaires tout au long de son appel de la route. Marc S. Morris, tourné vers
la tâche que lui donnent ses origines métisses, ne considère jamais sa place
comme acquise dans la société de l’Amérique moderne. Souvent, il utilise des
mots de sa langue maternelle pour exprimer ses émotions et ses points de vue
personnels, car il s’identifie plus à ses origines amérindiennes que celles américaines.
C’est d’ailleurs dans cette langue qu’il exprime le plus souvent son opinion
négative face à la société américaine, comme lors de manifestations
Je garde précieusement une photo du Times de moi où je tiens une pancarte
sur laquelle il est écrit en rouge : Aiontakia ‘tohtahro (aliéner quelqu’un).
L’Amérique s’est autoconquise par les armes et, depuis cette victoire
incestueuse, elle ne cesse de s’exporter. […] Je suis encore plus américain
qu’un Américain. J’ai grandi les armes aux mains, dans la bouche, dans les yeux
et je suis né en état de douleur. (FB : p. 34.)
Ici encore, l’utilisation d’une
autre langue est effectuée pour exprimer les idéaux du personnage face à la
société. Tout en indiquant que le personnage est américain, l’auteur insère des
mots d’une autre langue pour exprimer cette idée. Il exprime ainsi la pluralité
linguistique et idéologique qui constitue l’Amérique. Cette démonstration de la
pluralité linguistique est d’autant plus significative qu’elle est effectuée
avec une langue amérindienne qui ne se trouve qu’en Amérique du Nord.
Le troisième aspect qui décrit
l’américanité de la littérature, selon
Morency, est la religion. Cet aspect est amené de façon très moderne
dans le roman La foi du braconnier. La
religion n’est plus le catholicisme, mais le désir de laïcité dans la société
qui atteint même les prêtres. Ce désir de laïcité chez les hommes d’Église est
visible dans un passage où un cardinal allemand explique sa vision de la
religion catholique à son ami curé et à Marc S. Morin, qui vient de quitter ses
vœux d’homme d’Église pour retourner répondre à l’appel de la route:
Maatzinger : “C’est en se basant sur leur propre
compréhension de l’humanité que les hommes se sont créé une image de Dieu.
Comme dans une entreprise, modèle admirable de croyance et de dévotion, la
structure fonctionnelle de notre Dieu est constituée d’un chef, de
vice-présidents, de directeurs, d’employés, d’un produit mis en marché. Et de
gens qui achètent ce produit. […]’’ (FB : p. 58.)
Cette vision du catholicisme tend
vers une comparaison avec le capitalisme américain. Il n’en fait cependant pas
une critique négative. C’est sa vision du catholicisme en Amérique et il trouve
cette constitution religieuse excellente : « Et c’est bien ainsi. Beaucoup
plus que de chercher à savoir pourquoi, par exemple, ce moment présent est
précieux parce ce que ce repas est délicieux. […] » (FB : p.59.) Cette
vision capitaliste du cardinal face à la religion confirme à Marc S Morris
qu’il n’a pas trouvé ce qu’il cherchait dans le catholicisme et qu’il doit
reprendre la route, car c’est à cette société américaine qu’il refuse
d’adhérer.
Si le roman Sur la route montre le clivage qui existe entre deux générations
américaines, La foi du braconnier
montre, lui, la multitude d’ethnies qui constitue ces générations. Alors que
Jack Kerouac ne fait que décrire les gens qui l’entourent, Marc S. Morris, lui,
vit la différence en étant lui-même une minorité ethnique.
La thématique qu’ils ont en commun
est le catholicisme, dans La foi du braconnier la thématique de la
religion est amenée avec des propos de critique sociale sous une vision moderne
du catholicisme. Mais dans le roman
Sur la route les références au catholicisme se font
par un intertexte significatif et quelques références à dieu pendant des
moments plus spirituels du voyage. La vision est donc cordialement différente
même si les deux en ont une vision qui se veut positive. Ce qui est surprenant pour
l’œuvre La foi du braconnier étant
donné sa modernité.
Dû au fait que les deux livres
traitent de sujets typiquement américains, on peut conclure que ces œuvres
appartiennent au corpus littéraire nord-américain sans dépendre de l’origine
des auteurs. Cependant, il est intéressant de remarquer qu’en plus de l’appel
de la route, les deux auteurs abordent un sujet semblable et le font de façon
diamétralement différente, et ce, en s’insérant dans deux époques différentes.
Donc les auteurs américains abordent des thématiques semblables sans
nécessairement se ressembler dans le propos. Jack Kerouac le faisant par des
références textuelles et des analogies alors que Marc Séguin utilise plutôt une
prise de position directe par la narration homodiégétique.
Conclusion
En conclusion, il est possible
d’analyser l’appel de la route dans La
foi du braconnier et Sur la route vue la grande réciprocité que les œuvres
ont dans la façon d’afficher cette thématique. Dans ces oeuvres le voyage parait
comme un exutoire aux problèmes qu’ils ont et une réponse à leur but à
atteindre. Cette façon de répondre à un but part l’appel de la route prend de
plus en plus de place dans la littérature américaine moderne. Il est maintenant
fréquent de voir dans la littérature américaine des œuvres avec un contexte d’appel
de la route pour atteindre un but quelconque. Cette modernité de l’appel de la
route se transporte dans plusieurs styles littéraires, horreur avec Le cellulaire de Stephen King, suspense
avec La route de Cormac McCarthy ou
autofictionnel avec Carnet de voyage
de Guillaume Vigneault. L’atteinte d’un but qui, dans la littérature américaine,
passe toujours par un voyage sur la route. Il serait intéressant de faire un
parallèle avec la littérature d’une autre origine pour voir de quelle façon les
protagonistes tentent d’atteindre leur but.