Je pourrais d'abord entendre par sensation la manière dont je suis affecté et l'épreuve d'un état de moi-même. Le gris des yeux fermés qui m'entoure sans distance, les sons du demi-sommeil qui vibrent « dans ma tête » indiqueraient ce que peut être le pur sentir.
Maurice Merleau Ponty, Phénoménologie
de la perception
Introduction
Peu
habitué à faire une réflexion critique sur mon travail ou sur mes
lectures, j'ai décidé de scinder ce texte en plusieurs segments qui
formeront ensemble une bonne indication pour définir 'endroit où je
suis rendu dans ma démarche artistique et, par le fait même, en
quoi le cours de poésie l'a considérablement bonifié. Ainsi, je
commencerai par parler des réponses que les lectures et les
discussions avec vous ou avec les autres élèves m'ont apportés,
pour en suite centrer mon propos vers ma démarche créatrice et l'un
des deux projets que je veux en faire émerger.
Je
crois que le cours de poésie est celui qui a le plus enrichie mes
réflexions et démarches personnelles ; depuis que j'ai décidé
de choisir la branche de la littérature plutôt que celle de
philosophie. Et, surtout, je suis content de l'avoir vécu à cette
étape de ma vie. Je ne crois pas, personnellement, que plus jeune
j'aurais eu la maturité suffisante pour comprendre et pousser les
textes plus loin. Pour reprendre, les thermes de Renée Lapierre,
j'avais déjà pris connaissance de ma voix, mais je n'arrivais pas à
ouvrir l'espace entre moi et elle. La lecture des autres étudiants
m'a permis de retourner à la base d'un projet poétique :
qu'est-ce que l'on peut arriver à dire avec cette langue hachurée
qu'est la poésie ?
Auparavant,
j'ai suivie plusieurs ateliers de créations, mais je n'ai jamais
osé y faire lire ma poésie. J'avais trop peur de recevoir les même
commentaires destinés à mes collègues qui si risquaient : «
Je ne sais pas si je peux commenter/ je n'y arrive pas/ je ne suis
pas poète, mais ce que je comprends c'est beau. »
Pour
moi la poésie n'est pas d'ordre esthétique, il s'agit d'écouter la
vie à sa plus simple expression. « Les
poèmes écoutent. Ils écoutent quoi ? Non pas d'abord du sens, ou
de l'émotion, ou de la beauté, mais de la voix. »1
Écouter
la voix, le roman, l'essai, le roman graphique et le théâtre le
font aussi.
Alors
pourquoi serait-ce si différent pour la poésie ?
L'erreur
serait de dire que pour détailler le monde, il faut savoir en
reconnaître la poésie.
Ce
qui en fait, reviendrait à dire que l'on peut parler de poésie sans
parler de poèmes.
« Je parle de poésie : je ne parle pas de poème. »2
Mais,
iI faut parler de poèmes, aux pluriels, et de tout ce qui peut en
être.
Comme
le dit Steve Gagnon dans son texte Nous
n'avons rien à faire des poèmes illustrés :
« Depuis longtemps, le poème ne se définit plus par sa forme ni
même par son absence de forme. La définition de la poésie est
encore plus glissante que celle de la fiction. Comme pour cette
dernière, il y a cependant une sorte de consensus : ceci est un
poème. On le reconnaît, la plupart du temps, au premier coups
d’œil. »3
Le
cours m'a remis devant cette réalité : toute voix peut se
prêter à la poésie. Seulement, le papier n'est pas toujours le bon
médium ou, du moins le plus complet.
C'est
pourquoi, j'ai fendu ma création en deux.
Je
me suis rendu compte, avec les commentaires du cours, que ne faisais
pas avec mes poèmes ce que j'arrive à faire avec des manuscrits ;
en tirer un projet parmi les bribes.
Après un retour dans mes deux derniers projets, j'ai décelé deux voix claires qui s'éteignaient entre elles. L'une des voix parle d'intimité, de mes relations humaines et amoureuses et l'autre est plus extérieur, dans le constat du monde.
Celle
qui m'intéresse le plus, en ce moment, est celle de l'intime, parce
qu'elle est plus personnel, envahissante et mature, si j'oserais
dire.
C'est
cette voix qui a prie le nom: C'est
trop facile de tenir nos promesses. L'autre
se nommera Le
district des habitudes
et prendra la forme d'une carte avec des points de géolocalisation
poétique ; bref, sortira de la feuille, mais l'idée est encore
floue.
Au
final, les deux étaient déjà là, n'attendant que je sépare
les pommes et les oranges.
Avec
le recul, ça m’apparaît évident, car je n'arrivais qu'à faire
publié mon recueil qu'en revues, les suites distinctement séparées.
C'est pourquoi j'aimerais remercier Kateri Lemmens et les étudiants du cours de m'avoir pousser à confronter mes deux voix poétiques. Confrontation qui n'était jamais arrivé, malgré la lecture de plusieurs amis et mentors.
C'est
trop facile de tenir nos promesses dans
sa virtualité habitable.
Dans mon parcours artistique, autant comme éditeur qu'auteur, j'ai toujours eu cette volonté de sortir le de texte de son objet matériel.
Que
ce soit par la performance, le spectacle ou l'objet livre avec
Fond'tonne, dont je suis le fondateur, mes démarches portent
toujours la volonté d'habiter le monde dans sa dimension
quotidienne.
Je
pense qu'il est possible avec les moyens technologiques, mis à notre
disposition aujourd'hui, de revoir l'idée qu'on se fait du livre,
sans toutefois le dénaturer complètement.
Et
personnellement, je crois qu'une légère dénaturation du monde peut
véritablement donner quelque chose d’intéressant avec la poésie,
qui est un genre littéraire doté d'une grande maniabilité; il
suffit de s'intéresser au travail de Mathieu K. Phaneuf avec Fins
périples dans les vaisseaux du manège global
ou de Jonathan Lamy avec ses vidéospoèmes pour le comprendre.
Je
crois aussi que cette opportunité pourrait m'aider à donner une
dimension supplémentaire, à ce qui caractérise déjà mes suites
poétiques : l'intimité et l'habitabilité.
Sans
vouloir détailler en profondeur le projet, le but que j'aimerais
atteindre serait une retranscription sensorielle de ce que mes mots
peuvent évoquer chez un lecteur. Il ne s'agirait pas d'illustrer de
façon sonore et lumineuse mes mots, mais de créer un univers de
cohabitation entre tous les sens.
Ainsi,
par le son, la lumière et les mots, il s’agirait de créer l'idée
d'une chambre pendant une nuit d'hiver québécoise.
Matériellement,
ce que j'imagine, c'est un ensemble de lits dans lesquels des
inconnus, ou non, pourraient s'allonger dans le but d'écouter, de
lire, de voir et de ressentir l'intimité d'un ensembles de suites
poétiques.
Peut-être
qu'une forme cyclique pourrait être donné à dans l'ensemble, par
l’entremise de modifications sur le plan de la lumière et du son,
ce qui rappellerait le passage du soir à la nuit et au matin. Ainsi,
tout en lisant une suite de poèmes qui avance dans le temps, les
spectateurs vivraient cette même temporalité par leurs autres sens.
Écrire
dans le spectre du prisme
Récemment
une nuit, une nouvelle image pour illustrer ma création m'a
réveillée : celle du prisme optique; le même que sur la
couverture du disque Dark
side of the moon de
Pink Floyd.
Ma
démarche, m'est alors apparue très claire.
Comme
poète, j'extraie du monde un mince fil qui, fois passé par moi,
devient plusieurs poèmes d'un seul tout. Je ne créer pas de
nouvelles réalités, je ne fais que « les ren[dre]
apparentes par la décomposition »4
Cependant,
toujours dans une volonté de questionner ma création, j'en viens à
me demander ceci : Serait-il possible de m'extraire complètement
du processus de reproduction du monde?
Et
aussi, est-ce que ma création peu s'affranchir de mon joug?
Toujours
dans l'optique d'une volonté de tester a virtualité habitable de
C'est
trop facile de tenir nos promesses,
je me demande si la projection de mes poèmes dans un univers,
construit symétriquement avec celui que j'habitais au moment de la
création des poèmes, pourrait créer une sorte d'immersion pour le
lecteur/ spectateur. Et plus loin encore, est-ce que l'habitation
poétique par le spectateur recréerait, chez lui, l'état émotionnel
dans lequel je me trouvais au moment de l'écriture ?
Et
en me retirant est-ce que j'enlève de ce fait le prisme?
Est-il
remplacer par un autre représentant la salle créée?
Ou
bien, n'y aurait-il pas plutôt deux prismes : moi et le
spectateur?
Et dans ce cas, la distorsion du monde par mes poèmes serait annulé par cette présence d'un autre, car si l'on suit les hypothèses de la théorie du prisme, « quand les couleurs sont mélangées de nouveau, elles reconstitueront la couleur qu’elles créaient avant la séparation.»5
Au
final, j'aimerais atteindre, avec mes poèmes habitables, une totale
indépendance phénoménologique,
Et
donc, ce n'est qu'en affranchissant totalement mes poèmes de ma
présence, que ma voix atteindra sa vraie singularité.
Bibliographie
COTÉ, Véronique. (2014) La vie habitable : Poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires,Montréal, coll. Atelier 10, Nouveau Projet.
COTÉ, Véronique. (2014) La vie habitable : Poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires,Montréal, coll. Atelier 10, Nouveau Projet.
DUMAS,
Simon. (2015) « Nous n'avons rien à faire des poèmes illustrés »
Exit :revue de poésie, vol
81,
Montréal,
Éditions Gaz Moutarde, p. 68-71.
LAPIERRE,
Renée. (22
juin 2015)
«Construction
d'un espace pour la voix» La
chambre claire, [En ligne],
http://chambreclaire.org/texte/construction-dun-espace-pour-la-voix
(consulté le 24 avril 2016)
NEWTON,
Isaac.
(1671‐72)
Lettre
adressée à l'Éditeur de Cambridge,
[En ligne],
https://www.bibnum.education.fr/sites/default/files/newton-texte.pdf
(consulté le 24 avril 2016)
1R.
Lapierre, Construction d'un espace pour la voix, enligne.
2V.
Coté, La vie habitable, p.
13.
3Steve
Dumas, Nous n'avons rien à faire des poèmes illustrés,
p.69
4I.
NEWTON, Lettre destinée à l'université de Cambridge, en
ligne.
5Ibid.
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