Laisser de l'espace pour la
beauté
Kateri
Lemmens et Kiev Renaud ont
plusieurs points en commun : elles
sont toutes deux détentrices d'un baccalauréat de l'université de
Sherbrooke et d'une maîtrise de l'université Mcgill, ont publiés
dans les revues Contre
jour, Moebius
en plus d'avoir toutes deux remporté Le Prix du Jeune Écrivain
respectivement en 1990 et 2015.
Mais ce qui m'a le plus étonné
c'est l'écho que ce font leurs ouvrages.
Les
narrations de Retour
à Sand Hill (2014)
et de Je
n'ai jamais embrassé Laure (2016)
portent une délicatesse de la vérité qui c'était presque éteinte
avec Duras. Une écriture fine qui montre les relations entre «des
ruissellements, des surgissements, des rapprochements possibles entre
l'idée, la forme, la chose la permanence de la chose, son inanité,
la matière de l'idée, de la couleur, de la lumière, et Dieu sait
quoi encore.» 1
Cette
lumière, c'est celle de la rue aux couleurs si vives qui «
s'embl[ent] jaillir hors des ténèbres »2
ou encore celle de ces mannequins dépourvus de pupilles et à la
peau si blanche qu'il faut se « protéger [les] yeux de leur
lumière. »3
Il y a cette volonté chez
Lemmens et Renaud de voir au-delà de la vie ordinaire.
D'être un
œil qui est à la fois « dedans dehors de la toile […] dehors
dedans du noir et du blanc. »4
Quand l'un
des deux ouvrages entrebâille
une porte sur l'intimité, l'autre l'ouvre complètement :
Elle se retourne vers moi et lisse mes cheveux avec ses paumes, humidifie son index pour effacer une saleté sur ma joue. […] À mon tour, j'effleure sa joue. Elle touche le bout de mon nez; je pose mon pouce sur le sien. Elle bat des paupières; moi aussi. Je dilate les narines et mords l'intérieur de mes joues. Elle m'imite.5
*****
Alba est
venue poser ses lèvres sur les miennes. Elle m'embrassaient
parfois comme ça, sans prévenir. À la fin, c'était devenu une
habitude. L'hiver, son baiser réchauffait mes lèvres et mon corps,
et c'était peut-être la seule raison qui la poussait à le faire et
je ne savais jamais si c'était elle qui me volait un baiser, ou si
c'était moi qui lui arrachais une part de chaleur.6
Cependant, les deux livres
partagent aussi la même faiblesse : le manque d'espace laissé
au texte.
Les idées sont prises en un bloc
monolithique qui mériterait d'être fendu et aéré dans une mise en
page proche de celle des recueils de poésie. Mais pour une telle
mise en forme, il faut une écoute minutieuse de la voix des auteures
et ça qui requière du temps.
Temps qu'il faudrait prendre, car
Lemmens et Renaud ont cette capacité de replacer l'humain en face de
l'immensité de la nature et du temps.
Une capacité qui manque souvent
dans la littérature d'aujourd'hui.
Ouvrages
cités
DURAS,
Marguerite. (1993) Écrire,
Paris,
Gallimard
LEMMENS,
Katerie. (2014) Retour
à Sand Hill,
Paris, La Valette éditeur.
RENAUD,
Kiev. (2016) Je
n'ai jamais embrassé Laure, Montréal,
Leméac.
1Duras.
p.123-124
2Lemmins.
p.167
3Renaud.
p.78.
4Lemmins.
p. 24
5Renaud.
p.24.
6Lemmens.
p.79
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